L’institution judiciaire dépassée par l’actualité

Quel est le point commun entre les violences conjugales et la condamnation par le tribunal fédéral suisse des activistes du climat? Ces deux cas démontrent, pour moi, une inadaptation, une inadéquation de nos instances, notamment judiciaires, pour régler les problèmes soulevés. Au risque de voir demander par certain·e·s l’application de recettes inefficaces.

Que ce soit avec la récente condamnation des activistes du climat du Crédit Suisse par le tribunal fédéral (TF) ou avec le ravivement des débats autour de la violence conjugale et des féminicides au travers de la condamnation du « gifleur de Macron » et du procès de Valérie Bacot, l’institution judiciaire semble dépassée.

Et c’est en réalité tout à fait normal. Si ma mémoire ne flanche pas totalement, Foucault décrivait déjà ce problème dans « Surveiller et punir ». À l’époque de la révolution industrielle, le système judiciaire a dû s’adapter en profondeur pour ne plus punir lourdement les vagabonds, toujours existants et « anti-sociaux », mais moins redoutable que celles et ceux qui s’en prennent alors aux biens privés, nouveau « sacré » de l’époque.
L’institution judiciaire est toujours dans la réponse, jamais dans la proposition. Elle ne peut pas proposer quelque chose de neuf et de visionnaire, car elle part toujours d’un problème.

Et que ce soit avec les activistes du climat, se réclamant de l’état de nécessité, ou avec les violences conjugales et leur sinistre corolaire, les féminicides, elle n’a pas de réponse qui paraît adéquate. Ces deux problématiques de société soulignent pour moi l’importance de pouvoir penser en dehors du système judiciaire et/ou de le repenser. Qu’il faille un système juridique, personne n’en disconvient. La question de son efficience et de sa forme sont en revanche des points de débats évidents.

Il ne s’agit toutefois pas de glisser dans certaines facilités. L’une d’entre elle, promu par les activistes du climat, serait de reconnaître des situations comme suffisamment extraordinaires pour en devenir licites. Ainsi, entraver, même si ce n’est que symboliquement, les activités de la place financière pour défendre la planète, serait une forme d’état de nécessité, de légitime défense de la planète. Si on peut suivre ce raisonnement sur le plan intellectuel, il n’a aucune chance sur le plan juridique. Et plutôt que de s’accrocher vainement à l’utopie juridique, il faut tirer l’enseignement: s’engager pour le climat, la planète, la vie, c’est prendre des risques. Pas forcément des risques sur sa santé et sa vie, encore que le processus judiciaire puisse être anxiogène, mais certainement des risques quant à son confort, notamment financier du fait des procès et amendes infligées. Il convient d’en tenir compte et de faire au mieux pour limiter les conséquences sur les militant·e·s.

L’autre facilité apparaît en lien avec les violences conjugales et prend la forme de la rengaine bien connue des peines plus sévères, voire des mesures infligées sur la base de suspicions. Si la question de la sévérité des peines, voire de mesures particulières applicables en cas de violences conjugales, peut se poser et être documentée, simplement donner un tour de vis ne changera rien. Le durcissement des peines ne résout en général rien, il tend à reporter les problèmes et à les transformer. C’est un point qui mérite développement, ce que je ferai ultérieurement ailleurs. Mais j’ai la sincère conviction que plus de justice ne passe que très rarement par des peines plus dures. Quant aux mesures « préventives », il y a une certaine ironie à voir celles et ceux qui appelaient récemment (et à raison) à refuser la nouvelle loi anti-terroriste en Suisse, qui est remplie ce genre de mesures, à les réclamer pour les auteurs potentiels de féminicides. Comme si l’iniquité et l’inefficience de certaines mesures ne valaient que pour certaines catégories de personnes. Ceci d’autant plus que des mesures « préventives » existent déjà pour les violences conjugales, mais tendent à être peu ou mal appliquées et n’ont donc pas le succès voulu. La question des moyens et de la volonté se pose donc.

Il faut donc de continuer à militer pour la planète et à sensibiliser aux violences conjugales, mais sans rien attendre de la justice. Pas parce que la justice ne comprend rien aux problématiques, mais parce que les problématiques se résolvent ailleurs. Et l’échec à faire accepter la loi CO2 et à faire refuser la nouvelle loi anti-terroriste sont de bons exemples du besoin de s’engager ailleurs que sur le plan judiciaire. Sur ce dernier, il convient de lutter avec intelligence, notamment en mettant ce système face à ces erreurs lorsqu’il en commet, mais à interagir aussi avec lui au minimum, car il ne changera rien aux problèmes et reçoit ses impulsions de fonds de l’institution politique.

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