L’incroyable Matthias Müller, colonel de notre glorieuse armée et députée UDC tentait de nous convaincre qu’il faut refuser une nouvelle taxe sur les véhicules. Démonstration de la qualité de l’argumentaire.
Reçu sur RJB, Matthias Müller nous a régalé d’un festival à propos du référendum de l’UDC contre la loi sur l’imposition des véhicules routier. Une pépite à écouter ici.
Premier argument: la taxe n’aura pas d’impact sur les propriétaires de véhicule de luxe, comme une Porsche 911, car elle ne sera pas assez haute pour qu’ils y renoncent pour un véhicule plus économique. Une entrée en lice très forte, avec un argument concernant une minorité fortunée, qui, à moins d’être visée par des mesures très ciblées, fera de toute façon toujours ce qu’elle veut. D’ailleurs, l’UDC combat toute idée d’impôts ou de taxes plus élevés pour les riches. Bel argument donc, puisque d’une part, il faudrait les faire plier, mais d’autre part, il ne faut jamais trop les ennuyer. D’un coup qu’ils partent et que le pays soit ruiné et envahi par des hordes d’étrangers pauvres.
Deuxième argument: c’est juste une excuse du gouvernement pour encaisser plus d’argent. Décidément, M. Müller est très en forme, il enchaîne avec un coup très technique. Si, évidemment, une taxe « enrichit » le gouvernement, il faut se demander pourquoi il en a besoin. Or, quel est le parti qui n’a pas cessé de faire baisser les rentrées d’impôts et taxes? L’UDC. Parce que pour eux, il suffit de couper dans les méchantes dépenses inutiles. Ils savent toujours ce qu’il faut faire, mais évitent en général de trop se mouiller directement, d’un coup que l’on découvre que tronçonner l’aide sociale rapporte moins que de lutter contre l’évasion et la concurrence fiscale.
Par ailleurs, ma commune prélève des taxes plus ou moins élevées et pas toujours très équitables. Du coup, le sujet revient régulièrement sur le devant de la scène en assemblée municipale. Réponse automatique: on est une commune avec un taux d’impôts très bas, on ne touche à rien, en vue des années de vaches maigres. Jeu: de quel parti, jusqu’à récemment, le maire et la majorité municipale étaient issus? Indice: cela commence par U et finit par C. Donc, quand les mêmes gouvernent, ils ne rechignent pas à taxer ni à imposer. Surprise!
Argument 3: oui mais Berne/la Suisse, c’est rien: on pollue peu et la Norvège gnagna. Troisième argument: la Suisse pollue déjà peu, et la Norvège, qui a plus de véhicules électriques, rejette plus de CO2. Une fois les arguments les plus massues sortis, il faut rappeler une vérité: la Suisse fait bien. Super, mais ne peut-elle pas faire mieux? Par ailleurs, si le canton de Berne n’est pas la Suisse, avoir des cantons pionniers sur de telles questions fait avancer les choses. Enfin, la comparaison avec la Norvège sur la seule émission est ridicule. Il faut comparer les raisons de cette différence d’émissions. Un peu comme quand on pointe du doigt la Chine. Mais rappelez-moi, pourquoi les industries s’implantent-elles massivement en Chine? Parce que c’est moins cher. Du coup, la concentration de pollution est plutôt inévitable, à moins de faire du critère écologique un critère qui prime sur celui de l’économie.
Quatrième argument: la taxe touchant les gens au porte-monnaie, ils n’auront pas les moyens à terme d’acheter un véhicule moins polluant, car il est plus cher. Plus habile, l’argument de la méchante taxe qui appauvrit et va à l’encontre du but recherché. C’est là que je me demande si l’UDC dort au parlement pendant les votes ou si elle ne s’implique pas exprès. Car si ce problème est réel, il faudra lire la loi en entier, il est sans doute possible de donner comme contrepartie à la taxe des incitations pour acheter un véhicule moins polluant sous certaines conditions. Car changer de véhicule trop souvent pollue énormément. Du coup, la taxe pourrait sans doute servir à financer une forme de transition. Mais bon, c’est difficile d’amender une loi quand on est le groupe avec le plus de députés. Surtout qu’à une année des élections cantonales, un petit référendum bien populiste, c’est bien plus efficace en terme de voix engrangées que de faire du travail au parlement.
Cinquième argument: la taxe ne tient pas compte de l’usage du véhicule, car si j’ai un véhicule qui pollue beaucoup, mais que j’utilise peu, je pollue moins que quelqu’un qui a un véhicule qui pollue beaucoup et qu’il ou elle emploie toute le temps. Argument classique, très bien employé, bravo. Et oui, la taxe est forcément discriminatoire par essence. La taxe pour les chiens est la même pour tous les chiens dans ma commune, petits comme grands. Si la question du comportement est légitime, elle est ici faussée, car à moins d’être riche, personne ne va peu servir un véhicule plus taxé qu’un autre. Maxime Ochsenbein, autre UDC, rêve d’un Jura Bernois qui a besoin de gros 4×4 pour gagner 10 minutes par rapport au train, pas de petites voitures électriques. Le problème existe déjà avec la taxe sur les plaques, qui pose la même question, sans l’écologie. Il est toutefois vrai que pour l’UDC, rouler est un droit sacré, donc cela devrait être gratuit!
Sixième argument: la taxe va produire l’effet inverse, car les gens vont souhaiter acheter des véhicules plus polluant, car les gros véhicules sont signe de prestige social. J »avoue, j’étais pas prêt. Pour M. Müller, la majorité de la population est composé de beauf avides de tunning et de belles voitures. Sauf que les gens qui achètent de « gros véhicules », les achètent en général soit pour transbahuter leur famille, soit pour des tâches qui les nécessitent, genre le travail en forêt. Du coup, ce n’est pas tellement un prestige social, qu’une nécessité. Les autres problèmes étant les beaufs dont ils parlent comme d’une population très répandue et les gens qui croient qu’il leur faut un « gros » véhicule dès qu’ils sont à la campagne, qui eux sont une population plus importante et peu encline à ce genre de taxe.
Septième et dernier argument: la solution ne passe pas par des taxes et l’intervention, mais par la technologie qui va nous résoudre tout cela toute seule. Argument en vogue, joli! Sauf que pour que les constructeurs aient dans une direction plus écolo, il faut probablement une politique contraignante. En effet, le libre marché actuel pousse les gens à acheter des SUV, soit les pires véhicules possibles. Pourquoi aucun constructeur ne travaille-t-il sérieusement sur une baisse de la conso avec des véhicules moins lourds et plus aérodynamique? Parce qu’il peut vendre ses énormes SUV et qu’il n’a pas de raison de faire autrement. Mais sans doute que du jour au lendemain, tout va changer grâce à la magie technologie.
Enfin, deux boni à ne pas oublier: Matthias Müller est colonel de l’armée suisse, c’est son métier que d’être militaire de carrière. Donc quand il critique les gens qui bossent pour le gouvernement, je lui tire mon chapeau, car il ose se viser lui-même. De plus, il passe sous silence qu’il paie son essence à un prix préférentiel, qu’il a droit à une somme colossale à intervalle régulier pour changer de véhicule et que son salaire n’est pas exactement faible. Par ailleurs, il n’a aucune gêne à se pointer en uniforme pour un entretien politique, ce qui semble indiquer que l’armée pense comme lui.
L’autre boni c’est sa phrase magique « il est moralement incorrect pour le gouvernement de tenter de manipuler le peuple ». En effet, c’est le seul rôle de son parti!